Du bon lecteur (1)

Du bon lecteur ou pourquoi et comment lire des ouvrages équestres

 

Si un secteur littéraire est en bonne forme, c’est bien celui de la littérature équestre : des manuels fédéraux aux traités techniques en passant par les essais et romans, le cavalier équestre dispose d’une infinité de sources écrites. Démesurée car si la production au XXIe siècle est importante, elle ne l’était pas moins avant en particulier au XIXe siècle. Tout le monde ou presque connaît la fameuse phrase de Nuno Oliveira issue de ses Réflexions sur l’art équestre : « Il faut monter à cheval sans pour autant laisser les livres se couvrir de poussière sur les étagères. » (Œuvres complètes, Belin, 2013, p. 25) Lecteur, le paradis t’attend donc mais avant de te lancer ou de poursuivre l’aventure littéraire voici quelques idées à garder en mémoire avant d’appliquer à toi-même et à ta monture les idées proposées dans les livres.

 

A – Utilité et limites de l’écrit pour une pratique physique

Si l’écrit est un fabuleux outil de préservation et de transmission il n’en reste pas moins qu’il ne peut se substituer à une pratique. L’Hotte disait d’ailleurs dans ses Questions équestres « aucun écrit ne saurait donner ‘l’à propos et la mesure’, autrement dit, le tact équestre. » (Plon-Nourrit, 1906, p. 190) et c’est une vérité. La lecture ne fait pas travailler la pratique de nos aides cavalières, c’est avant tout un outil théorique complémentaire (et ô combien précieux !). Or il s’agit de savoir comment s’en servir car si souvent on nous apprend à monter à cheval on nous explique rarement comment tirer profit d’une lecture équestre.

 

1- Le savoir livresque, pourquoi faire ?

Le but d’une lecture est multiple : se détendre, apprendre, réviser, passer le temps, etc. Or sachez que toute lecture apporte du savoir c’est-à-dire de la connaissance (fait de savoir), de l’expérience (savoir-être) et de la compétence (savoir-faire). Et cela vaut pour toute lecture oui, même lire un roman équestre n’est pas inutile. Un exemple ? Il peut vous permettre de visualiser des scènes qui peuvent potentiellement vous arriver et cette projection par avance vous amènera à mieux les gérer si elles surviennent.

La lecture est donc un apprentissage complexe et constant qui ne doit pas être uniquement tourné vers l’érudition parfaite (le savoir par cœur). Regardez le livre comme une ressource de savoirs, une possibilité de se développer (acquis, aptitudes et facultés) & une expérience fictionnelle (visualiser, pratiquer par la pensée). Ce n’est pas pour autant qu’il faut vous lancer tête baissée dans l’application d’une méthode sans réfléchir. Vous risquez de tomber dans une caricature de ce qui vous était proposé à l’origine. Essayez plutôt de comprendre les tenants et les aboutissants d’un ouvrage, les pistes de réflexions et les sensations qu’il vous propose.

Lire ne doit pas être une corvée et je rejoins ici Daniel Pennac qui avait proposé dans Comme un roman les droits imprescriptibles du lecteur :

  1. Le droit de ne pas lire
  2. Le droit de sauter des pagescomme-un-roman-pennac-daniel
  3. Le droit de ne pas finir un livre
  4. Le droit de relire
  5. Le droit de lire n’importe quoi
  6. Le droit au bovarysme
  7. Le droit de lire n’importe où
  8. Le droit de grappiller
  9. Le droit de lire à haute voix
  10. Le droit de nous taire

 

Une lecture reste cependant un acte qui nécessite un engagement de temps et de concentration car un ouvrage va demander, afin de pouvoir en saisir toute sa complexité, une réflexion : sur sa structure (chapitrage), sur les termes et expressions qui y sont employés. Dom Diogo de Bragance reconnaît ainsi que « malgré les beautés et les finesses de l’art équestre qui ont été transmises par les écuyers anciens qui ont daigné écrire – il est vrai qu’il faut avoir le temps d’aller trouver leurs ouvrages dans les bibliothèques et… être studieux » (L’Équitation de Tradition française, Belin, 2005, pp. 176-177).

Certains opposeront que les ouvrages des siècles précédents sont dépassés d’un point de vue technique, l’exemple le plus frappant étant celui du mécanisme des allures. Pourquoi dès lors dépenser son temps à lire des œuvres équestres anciennes ? C’est d’abord l’occasion de découvrir l’histoire de l’art équestre dans le développement de sa pensée mais aussi et surtout cela permet de compléter l’éventuelle défaillance dans la transmission du savoir. Et je m’appuie ici sur mon expérience personnelle :

En effet quel ne fut pas mon émerveillement lorsque j’ai (re)découvert les principes des aides qu’on ne m’avait jamais expliqué clairement à savoir : l’intermittence dans l’usage, la gradation des forces dans la demande et la recherche d’une sobriété gestuelle. De même que l’utile mise au point qui doit précéder la demande d’un exercice afin de savoir si le couple est en mesure de le réaliser : disponibilité physique et mentale du cheval et du cavalier. Des choses élémentaires mais si nécessaires, qui devraient être dites et redites dans les cours d’équitation et dans les manuels fédéraux.

 

 

2- Un propos généraliste à double tranchant

Un ouvrage est un objet construit, pensé pour s’adresser au plus grand nombre or un public est un groupe d’individus… Vous me voyez venir, le propos est généraliste par commodité pour a) l’auteur : il est impossible de faire face à l’ensemble des possibilités que représente chaque couple ; b) le lecteur qui a plus de chance de s’identifier à un couple ordinaire. L’auteur va donc choisir à quel lectorat il s’adresse (débutant, amateur, professionnel, etc.) et la plupart du temps la couverture, le résumé, la table des matières l’indiquent assez bien. Ce choix effectué n’est pas anodin, il provoque une image du “lecteur-modèle” (Barthes) chez l’auteur et un “horizon d’attente” (Jauss) chez les lecteurs.

Le lecteur modèle est en quelque sorte l’image que l’auteur se fait de son lecteur idéal (ses compétences équestres et ses connaissances théoriques). Il va donc laisser des trous, des blancs dans son texte que va devoir combler son lecteur, le but n’étant pas de diffuser un savoir qu’il pense déjà acquis chez son lectorat. Ce lectorat qui a lui-même une attente concernant envers l’ouvrage. Cette prévision du lecteur est fondée sur ses précédentes lectures du même type d’ouvrages et/ou du même auteur voir de l’image qu’il projette sur cet auteur.

Vous l’avez pressenti, toute la difficulté est que le lecteur-modèle et l’horizon d’attente coïncident au mieux. Point crucial : l’auteur a certes une part de responsabilité mais le lecteur aussi et c’est même lui qui joue le plus grand rôle car l’ouvrage une fois paru, l’auteur n’en a plus la maîtrise. La lecture étant maintenant une pratique solitaire et silencieuse, le lecteur est donc seul au commande de sa propre pensée et compréhension. Choisissez vos ouvrages en conséquence et partagez vos lectures avec d’autres cavaliers !

 

 

Narrative by Comfeak (domaine public)
Narrative by Comfeak (domaine public)

 

 

3- La difficulté de décrire une action corporelle

L’écriture théorique s’offre parfois des détours poétiques pour combler des lacunes lexicales. C’est alors que la lecture d’ouvrages des siècles précédents peut s’avérer surprenante pour la simple et bonne raison que les références culturelles (et donc les savoirs et conceptions qui s’y rattachent) ne sont plus exactement les mêmes. Certains vont comparer la conduite du cheval à celle d’un bateau, d’un instrument de musique, d’autres vont se lancer dans des parallèles scientifiques hasardeux pour décrire les sensations physiques. 

Les hanches ne cesseront de provoquer les résistances à la main qu’après leur complète soumission, qui sera constatée par leur détachement, c’est-à-dire lorsqu’elles dévieront avec promptitude et moelleux à la légère pression de l’une ou de l’autre jambe. C’est alors seulement que le cavalier pourra mettre le cheval droit, dans la balance des talons.
Arrivé à ce point, si le cavalier provoque une légère augmentation d’impulsion et ne laisse pas la masse y céder, il ressentira comme des ondulations, semblables à une nappe d’eau passant sous son assiette. Là se trouve le but qu’il y aurait lieu d’atteindre, si c’était l’équitation savante qui fût envisagée.
– Général L’Hotte, Questions équestres, Plon-Nourrit, 1906, p. 48.

Ce qu’il est intéressant de comprendre ce sont les raisons qui poussent l’auteur à utiliser des comparaisons. D’une part, les termes ne correspondent pas toujours à ce que l’on souhaite transmettre émotionnellement. Baucher s’est ainsi vu reprocher ses attaques à l’éperon pour leur violence alors qu’il avait explicitement décrit la douceur et la gradation avec lesquelles il fallait employer le procédé. Le problème venait ici de la réception du terme attaque et de l’imaginaire qu’il véhicule.

D’autre part, il est difficile d’exprimer des sensations physiques par le langage surtout que la nuance du ressenti est très variable selon les personnes. Il faut donc trouver des parades, des images fortes et aisées à visualiser et à partager. La quête équestre est celle de l’harmonie entre le cavalier et sa monture or quoi de mieux que le centaure pour exprimer la sensation de fusion corporelle et psychique. L’image fictionnelle d’un être unique n’est-elle pas supérieure par la puissance de son impact sur l’imaginaire du cavalier en comparaison à l’expression simple d’une relation harmonieuse entre deux entités distinctes ?

 

Frontispice La Guérinière Chiron et Achille Parrocel
« L’éducation d’Achille » par Charles Parrocel. Détail du frontispice de l’ouvrage de L’École de Cavalerie de La Guérinière (1733).

 

Suite :

B – L’importance de contextualiser ses lectures
C – La démarche critique, pour une consommation littéraire saine et bénéfique

9 commentaires

  1. Merci pour l’analyse. Il se peut qu’il y à pléthore sur l’art de monter à cheval, de dresser, etc. Et c’est tant mieux il n’y en aura jamais assez il n’y à qu’a voir le niveau des questions des cavaliers (débutants) dans les forums.. Mais il reste une grosse carence sur l’art de devenir un professionnel du cheval… celui qui vit de sa passion… sur le marketing du cheval, etc. C’est un domaine que nos amis anglophones comblent peu à peu mais en français que nenni :) A nos stylos heu ..claviers et vidéos

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  2. Bonjour

    J’ai beaucoup apprécié votre article, surtout l’idée de la projection. J’étais persuadée qu’un livre servait à la connaissance. La mise en pratique se faisant plus tard (ici, à cheval). En écoutant le livre de Stephen R. Covey « Les 7 habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent » (un livre de coaching), j’y ai appris que les sportifs de haut niveau ont une capacité de visualisation très élevée qui leur permet de voir, de ressentir, de vivre ce qu’ils vont faire, avant de le faire.
    Ici, l’idée de projection est la même ! Ce que dit Covey est qu’il faut visualiser la situation comme si on la vivait vraiment, dans les moindres détails, jusqu’aux sensations de toucher, d’odeurs, etc.. Appliquer cela aux livres équestres est une révélation pour moi! J’ai dû le faire inconsciemment mais le faire consciemment va, je pense, m’apporter énormément!

    En vous remerciant,

    Que votre journée soit belle,

    Laurence Delhaye

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    1. Bonjour,
      Merci de votre message. Oui vous avez raison, projection et visualisation tiennent ici de la même logique. Le simple fait de visualiser une action déclenche des phénomènes similaires dans le cerveau à celui d’accomplir l’action. C’est assez fascinant et sacrément utile ! Certains ouvrages équestres techniques commencent à s’imprégner de ce type de pratique (je pense notamment à l’équitation centrée de Swift qui convoque des images mentales). De belles lectures à vous, Honorine

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      1. Oui en y reflechissant bien, Sally Swift en parle. Mais, bien que je sentais ce qu’elle voulait dire (l’élastique qui tire la tête, la boule dans les hanches, etc) je ne me suis jamais imaginée sur le cheval avec les sensations. Et pourtant j’ai également essayer à cheval mais, sans le bouquin ça devient compliqué. Il manquait qqch. Je pense le relire avec cette approche (et d’autres livres aussi). Que votre journée soit belle, Laurence

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